Rencontre avec Zoe Besmond de Senneville

Photo-Zoe Besmond de Senneville
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L'écriture m'aide à donner du sens à ce que je vis, à m'éclairer, à respirer. C'est une forme de survie.

Témoignages - Publié le 09/03/2023 - Mis à jour le 13/07/2023

Résumé

La Fondation Pour l’Audition est allée à la rencontre de Zoe Besmond de Senneville pour parler de ses projets, de son otospongiose et du bouleversement que cette annonce a produit dans son quotidien. Comment vivre cette nouvelle "vie" et transformer ce changement en force ? Elle raconte.

Contenu
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Pourrais-tu te présenter brièvement ?

Je suis Zoé Besmond de Senneville. Je suis artiste, créatrice, actrice, modèle d'art et autrice. J'ai plusieurs casquettes car j'aime créer et faire plein de choses.

Peux-tu nous parler de ton dernier projet, ton album « sourdre » ?

Mon dernier projet est un album de poèmes accompagné de musique électronique. J'ai travaillé avec Ernest de Jouy, un artiste musicien, après avoir été invitée à un festival pour performer mes textes. Nous avons décidé de sortir l'album après que notre collaboration ait bien fonctionné.
Je voudrais que cet album tourne dans différents lieux.

Cependant, étant malentendante, travailler avec de la musique électronique est assez complexe et même dangereux pour mon audition fragile. Mes appareils auditifs ne sont pas faits pour écouter de la musique. Le son est très dilué… Nous aimerions travailler avec des gilets vibrants Subpac pour proposer une expérience vibratoire de ces textes et de cette musique.

Pourquoi avoir choisi le nom "Sourdre" pour ce projet ?

"Sourdre" signifie jaillir, comme l'eau. Sourdre, c’est à l’origine, un recueil de poèmes. Après avoir écrit un premier livre, "Journal de mes oreilles", qui parle de mon entrée dans la surdité, j'ai voulu parler de la perte, du passage d'un monde à l'autre et continuer à dire la surdité. Je trouve qu'elle est sous-représentée au niveau littéraire. Le mot "sourdre" donne du sens et me permet de voir qu'il y a des choses qui jaillissent. Rien ne se perd, les choses se transforment. Et dans les moments difficiles, il y a de très beaux jaillissements.
 


Découvrez le premier clip « Je vais t’écrire », morceau de l’album Sourdre réalisé par Zoe Besmond de Senneville et Ernest de Jouy.

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As-tu atteint l'objectif que tu t'étais fixée avec ce nouveau projet ?

J'aimerais le jouer et le performer dans des lieux pour parler du rapport à l'inclusion. Mes projets ont pour objectif de partager ma perception, mon corps là où il en est, de parler de ma vulnérabilité. Je suis persuadée que si on raconte nos singularités, on va construire un monde qui sera plus égalitaire car plus singulier de chacun de nous. Le récit de mon corps me paraît très important. À chaque fois que j'ai saisi ce courage, j'ai souvent de beaux jaillissements. C'est un vrai travail d'engagement dans mes émotions.

Comment les termes liés à l'audition (otospongiose, handicap, surdité…) nourrissent et influencent ton travail ?

Il y a un dialogue et un conflit. J'apprends à dialoguer avec chaque terme. L'écriture me permet d'apprivoiser ce que je vis pour pouvoir les accepter. L'écriture m'aide à donner du sens à ce que je vis, à m'éclairer, à respirer. C'est une forme de survie.

Après ces deux projets, où en es-tu dans ton parcours dans la surdité ?

J'ai récemment eu ma consultation ORL et j’ai perdu des décibels. Je suis déprimée mais j'essaye d'avancer malgré tout. En ce moment, j'écris un deuxième livre sur mon corps de modèle vivant, donc aussi un corps de femme sourde. La surdité ne reste pas de côté.

J'ai également intégré un programme d'entrepreneur pour développer quelque chose que j'aurais moi-même eu besoin lorsque je suis tombée malade : un programme d'accompagnement de soins et de création pour des personnes en situation de handicap sensoriel et pour tous. Ce projet, j’aimerais l’appelé « warrior », car selon moi, il n’y a pas de personnes handicapées, mais uniquement des guerriers.

Quels conseils donnerais-tu à quelqu'un tout juste diagnostiqué et concerné par une otospongiose ou une perte d'audition ?

Lire mon livre ! Il retrace mon parcours et fournit des ressources pour faire face à cette épreuve difficile. Au niveau de la prévention, il faut faire attention à ce que l'on ingère, comme les médicaments et l'alimentation.

Il ne faut pas cacher les choses, suivre son intuition et respecter ce dont le corps a besoin. Selon moi, il faut chercher le soin à partir de ce dont notre corps aurait vraiment besoin.

Tu travailles dans la culture. Pourrais-tu me donner ton avis sur l’accessibilité de ce milieu ? Et des boucles à induction magnétiques ?

Il n'y a nulle part des boucles magnétiques et les hôtes d'accueil ne sont souvent pas au courant. Il faudrait surtitrer tous les spectacles pour que cela soit accessible à tous. Ce serais d’ailleurs plus simple et ça pourrait être très beau de voir les mots.

Pour les créateurs, la question est souvent secondaire en raison d'un manque de financement mais moi j’ai envie de la placer avant. D’ailleurs, il y a la question du spectateur, mais il y aussi celle de l’acteur par rapport à l’accessibilité.

J’ai l’impression que le métier d'acteur n'est pas inclusif, ni trop compatible avec la surdité. Il y a des équipements qui existent mais ce qui manque ce sont les chemins. Il faudrait en créer plus dans ces milieux de la culture.

Souvent le premier réflexe, c’est de subir ou de partir… cela demande du courage de dire que l’on n’entend pas et que l’on a besoin d’accessibilité, d’autant que la société nous demande de cacher notre handicap. C’est une invitation.

Moi qui passe de normo-entendante au monde de la surdité... Tous les endroits que je fréquentais ne me sont plus accessibles et je n’ai plus envie d’y aller. C’est excluant…

Avec mon projet, j’espère faire bouger les choses, éveiller les consciences, introduire l’idée de cette accessibilité et développer des actions de sensibilisation. Il y a tant à faire, c’est excitant et enthousiasmant !

Pauline Legoff x Les Plateaux Sauvages - Ca vous dirait d’être des putains de déesses, d’Estelle Meyer
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Pauline Legoff x Les Plateaux Sauvages - Ca vous dirait d’être des putains de déesses, d’Estelle Meyer
 

Comment ta représentation de la surdité a-t-elle évoluée ?

Je n'avais pas de représentation de la surdité avant de devenir sourde. La société et le monde médical ne m'ont pas préparée, ni éduquée. J'avais des préjugés sur le handicap, c’est pour ça que j’ai eu du mal à l’accepter. D’ailleurs, les médecins, la première chose qu’ils m’ont dit, c’est de ne pas m’inquiéter, que ça ne se verra pas. Est-ce réellement la question ? La question, c’est plutôt au niveau sensoriel, c’est ça l’expérience de la surdité, l’expérience d’un autre corps… et ça transforme les rapports sociaux en négatif comme en positif.

Le handicap introduit de très belles choses. Tout se déplace. Par exemple, j'écoute plus attentivement maintenant, ce qui a amélioré mon jeu d'actrice. Je suis perdue, sur un fil et finalement je suis plus à l’écoute de l’autre.

Pour revenir à la question, je trouve que le mot handicap a une incidence sur mon image. J’ai l’impression de perdre un statut de femme. C’est comme s’il y avait quelque chose sur mon front. C’est déformant, un peu monstrueux dans mon rapport à moi-même et avec les autres.

Au niveau de mon rapport avec les autres, quand je prends le temps de raconter des détails sur ma surdité pour que la personne se rende compte de ce qu’il m’arrive, à ce moment-là, le lien devient plus fort. Au début, j’avais l’impression que la surdité m’éloignait des autres mais grâce aux mots, on retrouve des canaux pour réatteindre plus de gens. Je pense que ce qui change tout, c’est qu’il faut raconter les détails et ne pas hésiter à dire la souffrance dans certains moments. On se dit que les gens n’ont pas envie d’écouter, mais au fond ça permet de transformer les choses, d’expliquer et de faire comprendre ce que c’est de vivre dans ma situation. J’ai de moins en moins peur de dire les choses, dire que je suis malentendante parce que je me rends compte qu’il n’y a plus personne qui l’accueil mal. Les mauvaises rencontres, c’est assez rare.

Récemment, tu t'es mise à l'apprentissage de la Langue des Signes Française (LSF), pourquoi ?

Je pense que j'avais envie de m'éduquer. C'est la réponse la plus sage. J'avais envie de m'éduquer sur le monde des sourds. Je ne sais pas comment dire... je n'ai pas les bons mots. Finalement, pour parler des personnes malentendantes, je sais, mais pour parler des sourds, je suis perdue. Je suis beaucoup moins instruite à ce sujet.

Je trouve que c'est une langue avec un potentiel poétique immense et j'imaginais que ça allait pouvoir me donner des ressources, des endroits de soulagement... en réalité, pas tellement. Je pense que c'est en partie parce que je n'accepte pas encore complètement ma maladie. Je suis toujours en conflit avec mon diagnostic médical. Je ne crois pas vouloir devenir sourde et en apprenant la LSF, cela me confronte trop à la réalité. J'ai déjà perdu pas mal de décibels, si je perds autant tous les deux ans... ça me fait peur.

As-tu pour projet d'utiliser la LSF comme outil de création dans tes projets à venir ?

Oui. J'ai déjà écrit des choses lorsque j'étudiais la LSF. La grammaire de la LSF est très intéressante, en particulier en ce qui concerne les poèmes. Il existe même des poèmes écrits en LSF, avec des traductions et des dessins, c'est tout simplement magnifique. Cela ressemble un peu aux rébus que faisait ma mère, qui est créatrice de mode.

Cependant, j'ai eu du mal à suivre ma formation. C'était un peu trop scolaire et les horaires étaient trop intenses. Et... Il y a une partie de moi qui regrette la femme que j'étais avant. J'avais d'autres rêves quand j'étais petite. Je ne m'imaginais pas, à mon âge, porter des appareils auditifs et être tout le temps fatiguée. Il y a beaucoup de sacrifices à faire au niveau de la vie sociale, c'est difficile pour moi en tant qu'actrice et modèle. Mon image est importante dans mon travail, et cela rend les choses encore plus difficiles. Il y a beaucoup d'émotions à gérer et parfois, je me sens bloquée. Il y a des vagues d'émotions.

Malgré tout, de très belles choses se produisent aussi. En ce moment, je suis surtout fatiguée et épuisée.

Le sais-tu ? Près de 50 % des jeunes risquent leur audition à cause d'une écoute trop forte et prolongée de la musique ? As-tu un mot à dire là-dessus ?

Je pense qu'il est important de prendre cela très au sérieux. Ce n'est pas du tout amusant de devoir porter des appareils auditifs. Je pense qu'il devrait y avoir plus de prévention, et que nous devrions parler plus en détail de ce que cela signifie d'être malentendant et de devoir porter des appareils. Cela change toute la vie, et il est difficile de restaurer ce qui a été perdu.

Il est donc important de faire attention aux conséquences d'une écoute prolongée de musique trop forte. Je vois beaucoup de gens avec des écouteurs sur les oreilles. Maintenant, je regarde souvent les oreilles des gens. Avant jamais trop, mais maintenant, j’ai une sorte de radar. Cela me donne de l’empathie… j’ai presque envie d’aller parler aux gens.

Mais je comprends que quand on n’est pas concerné par le sujet, c’est difficile, on ne prend pas le sujet au sérieux. Moi-même, les premiers tests auditifs que je devais faire, je n’en avais pas envie, je ne voulais pas les faire. Je me disais que c’était pour les vieux. Au début, la perte d’audition est assez invisible, je n’étais pas réellement gênée. Puis maintenant, voilà ma situation. La prévention ne m’atteignait pas.

Il faudrait s’infiltrer dans des endroits et surprendre les gens par l’art ! Ce qui peut faire changer la donne sur la prévention, c’est l’art car c’est un bon moyen de toucher les gens avec les émotions.

Cover-album-Sourdre-Zoe Besmond de Senneville - Ernest de Jouy
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Pour écouter l’intégralité de l’album Sourdre (et autres poèmes) : cliquez ici.

Le site de Zoe Besmond de Senneville : cliquez ici.

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Crédit photo : Olivier Allard et Ernest de Jouy pour la pochette