«Lorsque que j'étais petite, je ne parlais que très peu avec les autres enfants. Mes proches disaient que j'étais timide.»
J'étais très longue pour répondre aux professeurs mais j'avais toujours de très bons résultats scolaires. Je sursautais au moindre bruit sourd. Mes professeurs ont alerté mes parents, pensant que j'étais peut-être atteinte d'autisme et que je devais passer des tests pour comprendre mon manque de sociabilité. Il s'est avéré qu'en réalité, les otites à répétition dont j'avais souffert dans mes 3 premières années avaient endommagé mes tympans et que je n'entendais plus les sons en deçà de 80 décibels, ce qui équivaut au volume sonore d'un marteau piqueur.
Tout est devenu très clair. Si je ne parlais pas aux autres enfants, c'est que je ne les entendais pas. Si je prenais un certain temps à répondre aux professeurs mais que mes résultats étaient toujours bons, c'est que je lisais sur leurs lèvres afin de décoder la question puis d'y répondre. J'ai subi une greffe de tympan à l'âge de 9 ans. Quand je me suis réveillée et que j'ai entendu les questions de l'infirmière, j'ai fondu en larmes.
Du point de vue de mon entourage, j'étais seulement timide mais moi, j'avais l'impression permanente d'être dans une bulle, de voir le monde bouger et s'agiter autour de moi sans avoir l'impression d'en faire partie. Je ne l'exprimais pas ainsi à 6 ou 7 ans mais j'avais ce sentiment pesant de ne pas être comme les autres enfants, de ne pas pouvoir jouer aux mêmes jeux qu'eux, de ne pas avoir des copains comme eux, de ne pas vivre une vie d'enfant normale. Je pense que ça a beaucoup conditionné ma vie d'adulte, mon rapport aux autres mais aussi mes angoisses.
Aujourd'hui je suis très sociable, je parle beaucoup, parfois trop même, et j'analyse tout ce que je vois. Je dessine et écris beaucoup également car c'était à l'époque mon seul moyen de communiquer : à travers des images. J'ai aussi une peur panique du rejet, de l'abandon, de la solitude et d'avoir de nouveau une baisse de mon acuité auditive. Ce qui me frappe avec le recul, c'est la réaction de l'école qui a tout de suite pensé que j'étais atteinte d'autisme. Cela prouve à quel point le personnel d'éducation en France est trop peu formé sur les sujets tels que la surdité, l'autisme et le handicap en général. Ce n'est pas de leur faute et je ne les blâme pas, mais cela peut avoir des conséquences désastreuses sur un enfant en plein développement. L'inclusion à l'école devrait commencer par la formation ou du moins la sensibilisation du personnel qui accompagne les enfants.
Une psychologue m'a dit un jour : « ce qui vous rend différent ne fait pas de vous quelqu'un d'anormal mais plutôt d'extraordinaire » et je trouve que c'est de cette manière qu'on devrait présenter les choses aux enfants qui souffrent de leur différence. Je suis photographe amatrice et réalise beaucoup de séances photos en partenariat avec des associations afin de sensibiliser les gens qui me suivent sur Instagram à certaines maladies, certains handicap et aussi donner la parole à ces personnes qui se sentent différentes et préfèrent d'habitude rester dans l'ombre. Notre différence ne nous rend pas anormal mais extraordinaires.