Ce que j'ai mis des années à comprendre sur ma surdité.
[Témoignage de Solène N.]
Invisibles et difficiles à appréhender pour l'entourage, mes difficultés auditives n’en sont pas moins réelles. Je continue d'apprendre sur les manières de faciliter la communication en toutes circonstances. En 2017, j'ai commencé à relater ce témoignage sur un blog autreoreille.com.
Le point de départ a été d'y raconter mon implantation cochléaire. Une grande aventure, à mon échelle... J'y relate aussi des anecdotes sur mon quotidien de malentendante, les stratégies mises en place avec mes proches pour participer aux échanges autant que possible. Dans ce domaine complexe, les partages d'expériences sont un des moyens d'agir.
Quand j'ai perdu mon sens de la communication
C'est en 2003, au cours de ma première année d'études dans les amphithéâtres de l'université Rennes 2 que je prends conscience pour la première fois que j'entends peut-être moins bien que les autres. Le diagnostic m'abasourdit (littéralement !) : une surdité irréversible avec pour seule option le port d'appareils auditifs. À ce moment là, ma connaissance de ce sujet se limite à quelques idées reçues, qui-plus-est pas particulièrement positives.
Les cinq années suivantes, mon audition dégringole à toute allure, jusqu'à une surdité "sévère". Au cours de cette période, des médecins ORL et mon audioprothésiste sont mes seuls interlocuteurs en matière de surdité. Jusqu'à ma rencontre en 2008 avec une association de personnes malentendantes. Je commence alors à apprendre ce qu’il est possible de mettre en place en plus des appareils auditifs.
C’est aussi à cette occasion que j’entends parler, pour la première fois, de l’implant cochléaire qui en dernier recours, peut avec une intervention chirurgicale et un appareil auditif spécifique restituer une partie de l'audition perdue. Après avoir passé des années sans réponses à mes questionnements sur le devenir de mon monde sonore, c'est un soulagement !
L’implant cochléaire permet de réhabiliter les surdités sévères, profondes. En l’absence de contre-indications particulières, il est proposé quand les appareils auditifs conventionnels ne sont plus efficaces, ni à droite, ni à gauche. Il n’existe pas de limite d’âge pour être équipé.e d’un implant cochléaire !
La cochlée étant à l'origine des atteintes auditives, l'implantation cochléaire consiste à mettre en place, dans la cochlée, un système qui va stimuler électriquement le départ du nerf auditif et ainsi redonner des sensations sonores au / à la porteur.se de l’implant lui permettant ainsi d'entendre.
Les 10 années suivantes, je me débrouille tant bien que mal. Dans l'ensemble plutôt bien que mal mais avec des moments où je n'en mène pas large. Il faut admettre que la surdité peut être parfois très frustrante. Comme nombre de personnes malentendantes, je me suis insidieusement habituée à ne saisir qu'une partie des échanges, à masquer les approximations, à rattraper les informations manquées en réunion, à renoncer à m’exprimer faute de savoir précisément ce qui s’est dit avant et à m'épuiser dans les moments de convivialité pour un résultat somme toute peu satisfaisant.
En 2017, une nouvelle dégradation de mon audition rend la communication orale quasi inaccessible. Amplifier davantage le son ne permet plus de le comprendre mieux. Les voix ne sont plus que des bruits indéchiffrables. Je suis implantée quelques mois plus tard. D'emblée, les résultats sont bons. Je retrouve même des sons que je n'avais plus entendus depuis des années (les griffes de mon chat qui déchirent la tapisserie, par exemple !). Aujourd'hui, c'est clairement l'oreille implantée qui me permet de comprendre la parole. L'oreille appareillée la "complète" en apportant aux voix des sonorités plus naturelles et nuancées.
Il est une sorte d'interrupteur qui amène du son dans ma vie. Un son loin d'être parfait et pas toujours confortable mais auquel je tiens profondément.
Quand j'ai accepté qu'il faut impliquer les autres dans ma problématique
Au quotidien, je combine le son, la lecture labiale, les informations écrites dès qu’elles sont disponibles et un tout petit peu de langue des signes avec les personnes de mon entourage qui la pratiquent. Certes je suis équipée pour percevoir du son mais n'en demeure pas moins malentendante, avec les inévitables obstacles que cela suppose : distinguer les voix dans un environnement bruyant ou réverbérant, suivre une conversation quand il y a plus de quatre locuteurs m'est impossible sans « aide technique ». Cette dernière prend la forme d’un micro qui focalise la voix de la personne qui parle et l'envoie directement dans l'implant et l'appareil auditif. Le son est transmis par boucle à induction magnétique ou bluetooth. J'arrête là pour les termes techniques, histoire de ne pas vous dissuader de lire la suite !
Cette configuration me permet donc de comprendre (presque) tout, même dans les environnements bruyants ou au sein d’un groupe. Elle suppose toutefois de demander à l’entourage, amical, familial, professionnel d’adopter des habitudes de communication inédites. Ce sont de petites choses : tous les interlocuteurs s’expriment dans un micro connecté aux appareils auditifs, tiennent ce micro suffisamment près de leur bouche et se le passent de sorte que toutes les prises de paroles se fassent dans le micro.
Mais demander à l'entourage de s'adapter à une personne qui entend mal n'est pas dans notre culture. Il ne va pas de soi de partager ses difficultés et d'expliquer encore et encore comment les dépasser. La crainte d’une non-coopération (pourtant rarissime !) peut rendre tentante l’option de se débrouiller seule.
Il m'a donc fallu du temps et des soutiens pour admettre ce besoin, encore plus pour agir en conséquence. Il m’arrive encore parfois de ne pas oser l’exprimer face un groupe et de me retrouver en difficulté. Ou de la même manière, de ne pas oser demander un sous-titrage des échanges "juste pour moi".
Au départ, mon amoureux m'a entraînée dans cette démarche, puis des amis proches, entendants ou malentendants, ont adopté ce réflexe. À leur tour, ils expliquent à d'autres pourquoi et comment parler dans le micro. Petit à petit, je retrouve une place dans les conversations. Presque tout le monde accepte ces règles du jeu après avoir compris que sans cet accessoire, les échanges me seraient inaccessibles… et aussi que le micro n’enregistre pas leur propos !
Avec le recul maintenant que j'en sais un peu plus…
J’aurais aimé savoir dès les premières années, quand mon audition était en chute libre, que l'implant cochléaire existait. Et cela m'aurait évité fatigue, quiproquos et frustrations de mettre en place un micro et demandé à mes proches de l'utiliser dès les premières réunions professionnelles et dès les premières soirées où il a été difficile de comprendre et tentant de renoncer. Mais comment peut-on solliciter des dispositifs dont on ignore jusqu'à l'existence ?
Isolée et non informée, je ne pouvais pas agir dans ce sens. Quand j’ai enfin accepté que seule je n’y arriverais pas, j'ai pu faire des rencontres essentielles pour m’informer et mettre en place des solutions qui fonctionnent. Il y a sûrement de nombreux usages à construire, en sortant des idées reçues et s'autorisant à faire les choses autrement. Pour moi, cette démarche a commencé quand je me suis rapprochée d’une association de personnes malentendantes. Une dizaine d'années plus tard, je continue de m'engager dans cette action pour que les informations utiles aux personnes concernées ne restent pas l'apanage d'un petit cercle d'initiés.
[Photo Frédérique Jouvin]