Santé auditive des nouveau-nés : comprendre, prévenir, protéger...

SANTÉ AUDITIVE DES NOUVEAU-NÉS : COMPRENDRE, PREVENIR, PROTEGER…
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Parfois, s’assurer de bonnes conditions d’audition commence bien avant/dès la naissance.

Prévention - Publié le 03/04/2025 - Mis à jour le 07/04/2025

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À l’occasion de la Journée mondiale de la santé 2025, consacrée à la santé maternelle et néonatale, la Fondation Pour l’Audition met en avant deux risques précoces pour le bon développement de l’audition chez les tout-petits dès la naissance :

  • La prématurité, qui prive le nourrisson de l’environnement sonore in utero, essentiel au développement des aires auditives de son cerveau,
  • Et l’infection au cytomégalovirus (CMV), première cause infectieuse de surdité présente dès la naissance.

Dans les deux cas, les conséquences peuvent être durables sur leur développement auditif. Comprendre les mécanismes en jeu aidera à mieux les prévenir.

POURQUOI L’AUDITION EST-ELLE IMPORTANTE AVANT MêME LA NAISSANCE ?

Avant même de naître, un bébé est déjà plongé dans un monde sonore : battements du cœur maternel, respiration, voix, musique… Ces rythmes sensoriels jouent un rôle essentiel dans la construction des réseaux auditifs du cerveau. Chez les enfants nés prématurément, cet environnement est brutalement remplacé par celui de l’unité de soins intensifs néonatals, bien plus bruyant, chaotique et pauvre en rythmes familiers.

Depuis 2021, la Fondation soutient grâce au groupe Dassault un projet de recherche porté par le Pr Fabrice Wallois (Groupe de Recherches sur l’Analyse Multimodale de la Fonction Cérébrale, Inserm U1105, Amiens) et par la Pre Laurel Trainor (Institute for Music and Mind, Canada). Leur objectif : étudier les effets de la prématurité sur le développement des réseaux cérébraux impliqués dans le traitement des sons. À terme, ces travaux pourraient permettre d’imaginer des interventions sonores préventives, inspirées des rythmes de la vie fœtale.

Dans les trois volets ci-dessous, découvrez en plus sur les résultats des recherches du Pr Wallois et de la Pre Trainor :

Eléments
Le cerveau des prématurés peut déjà décoder les rythmes

Les équipes du Pr Wallois et de la Pre Trainor montrent, pour la première fois, que les circuits immatures du cerveau de bébés prématurés ont déjà la capacité de traiter l’information rythmique associée à des séquences auditives. Un résultat important, publié dans la revue scientifique internationale The Journal of Neuroscience, et qui pourrait contribuer à modifier la prise en charge sonore de ces bébés en couveuse.

La capacité à décoder la structure rythmique de l’information auditive est importante pour le développement du langage, l’écoute de la musique et les interactions sociales. En effet, cette aptitude permet au cerveau de faire des prédictions qui l’aident à appréhender l’environnement sonore ; par exemple la manière de comprendre la prosodie du langage (les modulations qui le nuancent), la manière de grouper les mots pour leur donner du sens. Le système auditif du foetus est en place dès 25 semaines de gestation. Il l’immerge dans un monde sonore où les rythmes maternels sont omniprésents, en particulier celui du coeur ou de la respiration. Les sons extérieurs, eux, sont « filtrés » par les tissus maternels, mais leur rythme arrive quasiment intact au foetus : bruits de pas, prosodie des paroles, musique, etc. Au cours du troisième trimestre de gestation, le cerveau du foetus poursuit un développement rapide, d’abord sous l’influence de facteurs génétiques, puis, à partir de 27-28 semaines de gestation, s’ajoute l’influence des stimuli sensitifs qui lui parviennent. « C’est le moment où le cerveau du foetus se connecte avec son environnement, commente le Pr Wallois. Le prématuré est privé de ces sons et on sait qu’il est à risque de développer des troubles du neurodéveloppement, en particulier dans les interactions sociales ou le langage. Nous avons donc voulu répondre à la question suivante : quelles sont, chez le foetus, les capacités neuronales de décryptage du rythme, lequel constitue un des aspects fondamentaux de son monde auditif ? »


Une technique d’exploration de pointe


On sait que le foetus et le nouveau-né prématuré répondent à différents stimuli auditifs et commencent à structurer leur environnement auditif. Jusqu’alors néanmoins, la capacité de traiter les rythmes n’avait pas été explorée chez les nouveau-nés prématurés. C’est l’objectif de l’étude menée par l’équipe du Pr Wallois. La Pre Sahar Moghimi, collaboratrice du Pr Wallois, nous en résume l’approche : « Dans la continuité des soins cliniques qui sont apportés aux nouveau-nés prématurés en couveuse dans l’unité néonatale de soins intensifs à l’hôpital d’Amiens, nous avons soumis 19 nouveau-nés d’âge gestationnel moyen de 32 semaines, une semaine après la naissance, à différentes séquences musicales aux rythmes différents. Nous avons analysé l’activité électrique de leur cerveau grâce à une électroencéphalographie de très haute définition. Cette technique, indolore, consiste à placer sur la tête du bébé un bonnet sur lequel sont fixées de très nombreuses électrodes qui mesurent en temps réel l’activité électrique du cerveau. »

Un cerveau aux capacités d’analyse déjà sophistiquées


Les résultats de cette étude montrent que le cerveau de ces nouveau-nés prématurés a déjà la capacité de traiter l’information rythmique, et qu’il le fait de manière similaire à ce qui se passe dans le cerveau adulte. « Nous avons découvert que ces nouveau-nés peuvent déjà décoder les différentes composantes du rythme, explique la Pre Moghimi : la pulsation et la hiérarchie rythmique, qui est la manière de grouper les pulsations (à deux temps, à trois temps, etc.). Ce second aspect est néanmoins immature, le cerveau est encore en plein développement en lien avec l’environnement. Cela signifie qu’il faut prêter attention au monde auditif de ces nouveau-nés prématurés en couveuse, car la privation des sons normalement perçus in utero en fin de grossesse pourrait affecter le développement normal des circuits cérébraux. » Maintenant que la capacité de codage du rythme par le nouveau-né prématuré est établie, les recherches se poursuivent actuellement afin de comprendre l’importance de la stimulation sonore rythmique pendant les dernières semaines de la grossesse. « À terme, nous souhaiterions déterminer si des interventions musicales sont susceptibles d’améliorer le décryptage du rythme chez ces prématurés. En espérant que cela participe à un meilleur neurodéveloppement initial de ces enfants. »

Le Pr Wallois conclut : « Le soutien de la Fondation Pour l’Audition a été crucial pour amorcer ce projet, qui aujourd’hui a pris de l’ampleur et se ramifie. Il nous a notamment permis d’obtenir un financement de l’Agence Nationale de la Recherche pour aller plus loin. Nous espérons ainsi apporter des propositions qui permettraient de développer des solutions plus concrètes pour améliorer la prise en charge des nouveau-nés prématurés. »

 


Publication scientifique : Edalati M, Wallois F, Safaie J, Ghostine G, Kongolo G, Trainor LJ, Moghimi S. Rhythm in the Premature Neonate Brain: Very Early Processing of Auditory Beat and Meter. J Neurosci. 2023 ;43(15):2794-2802. doi: 10.1523/JNEUROSCI.1100-22.2023.

Ce que révèlent les oscillations cérébrales liées au décodage du rythme chez le prématuré.

Chaque région cérébrale, chaque neurone, vibre à son propre rythme, formant des oscillations cérébrales. Ces rythmes électriques jouent un rôle clé dans la communication entre les différentes régions du cerveau et sont essentiels à la cognition, à la mémoire et à la perception.


Les différents rythmes cérébraux et leur rôle


Les oscillations cérébrales sont classées en plusieurs catégories selon leur fréquence, chacune étant associée à des fonctions cognitives spécifiques :
- Les ondes delta, les plus lentes (0,5 – 4 Hz), dominent le sommeil profond et participent à la récupération cellulaire ;
- Les ondes thêta (4 – 7 Hz) sont essentielles à la mémoire et à la navigation spatiale ;
- Les ondes alpha (7 – 12 Hz) sont liées à la relaxation et à l’attention interne ;
- Les ondes bêta (12 – 30 Hz) sont impliquées dans la concentration et la prise de décision ;
- Les ondes gamma (30 – 100 Hz), les plus rapides, sont cruciales pour la perception et la synchronisation des aires cérébrales.


Dans la publication du journal Developmental Science, en 2024, l’équipe du Pr Wallois examine l'activité oscillatoire cérébrale chez des nouveau-nés prématurés, nés plus d’un mois avant l’âge du terme, lors de l'exposition à une séquence rythmique auditive.


Chez l’adulte, la prédiction des rythmes auditifs est traitée par les ondes bêta. Les résultats de l’étude montrent l’implication des ondes alpha dans ce processus chez ces prématurés. Les rythmes auditifs sont donc traités à une fréquence d’oscillation cérébrale inférieure à celle des adultes.


L’environnement auditif du foetus est caractérisé par des sons rythmiques omniprésents, tels que les battements de coeur et la respiration de la mère, ses propres battements de coeur, la parole et le chant de la mère. Une naissance prématurée peut entraîner une privation sensorielle des sons rythmiques. Les sons de la couveuse combinés à l'exposition aux sons forts des équipements médicaux dans l'unité de soins intensifs de néonatologie peuvent avoir un impact sur le développement neuronal.


Cette étude du Pr Wallois indique que le codage du rythme à travers les oscillations cérébrales intervient peu après la naissance du prématuré. Les effets d’interventions rythmiques chez ces enfants restent à explorer, toute comme la déprivation rythmique chez des enfants nés à terme.
 


Publication scientifique : Edalati M, Wallois F, Ghostine G, Kongolo G, Trainor LJ, & Moghimi S. Neural oscillations suggest periodicity encoding during auditory beat processing in the premature brain. Developmental Science, 2024 ; 27(6):e13550. doi: 10.1111/desc.13550 e13550.

A quel stade se développe le décodage du rythme chez les prématurés ?

La perception du rythme revêt une importance neurodéveloppementale pour l'acquisition du langage, le traitement de la musique et la communication sociale. Le rythme est omniprésent dans l’environnement auditif du foetus. Au cours du dernier trimestre de la gestation, le cerveau commence à répondre aux stimulations auditives et à coder l'environnement auditif.

Dans l’étude parue dans le Journal of Neuroscience en 2025, l’équipe du Pr Wallois explore quand les capacités neuronales de traitement du rythme se développent. Cette étude teste 46 nouveau-nés, nés après 27 à 35 semaines de gestation, et examine leurs réponses cérébrales aux rythmes auditifs pendant leur sommeil.


Les résultats électroencéphalographiques montrent que le cerveau du prématuré commence à coder les rythmes auditifs au début du troisième trimestre de la gestation. La synchronisation neuronale aux rythmes s'améliore avec l'âge gestationnel et, avant le terme, les oscillations cérébrales peuvent synchroniser de multiples rythmes auditifs, comme chez les adultes. Ces résultats constituent la première preuve d'un codage neuronal du rythme aux tous premiers stades du développement neurologique auditif, vers 28 semaines d'âge gestationnel.


La synchronisation aux rythmes rapides s’effectue chez les enfants prématurés qu’ils soient nés avant ou après 33 semaines de gestation. Cependant, la synchronisation aux fréquences plus lentes liées aux structures rythmiques complexes (comme des groupes de battements) n'apparaît que dans le groupe d’enfants nés après 33 semaines de gestation. Cela laisse à penser que le décodage des rythmes complexes se développe seulement à la fin de la gestation.


Les conséquences neurodéveloppementales de ces perturbations sur le développement rythmique, linguistique et musical d’enfants nés prématurément et exposés aux sons d’une unité de soins intensifs de néonatologie seront importantes à étudier.
 


Publication scientifique : Saadatmehr B, Edalati M, Wallois F, Ghostine G, Kongolo G, Flaten E, Tillmann B. Trainor L. Moghimi S. Auditory rhythm encoding during the last trimester of human gestation: From tracking the basic beat to tracking hierarchical nested temporal structures. J Neurosci. 2025 ;45(4):e0398242024. doi: 10.1523/JNEUROSCI.0398-24.2024.

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un autre RISQUE INVISIBLE POUR L’AUDITION DES NOUVEAU-NÉS - le cytomégalovirus

Si l’environnement sonore joue un rôle clé dans le développement neuronal auditif des prématurés, certains risques sont moins perceptibles pour les bébés… mais tout aussi importants à prévenir. C’est notamment le cas du cytomégalovirus (CMV), un virus qui peut être transmis pendant la grossesse et provoquer des troubles auditifs durables.

Le CMV est aujourd’hui la première cause infectieuse de surdité chez les nouveau-nés. Pourtant, sa détection reste encore trop rare à la naissance, alors qu’une prise en charge précoce peut en limiter les conséquences.

Le cytomégalovirus se transmet par contact avec des fluides corporels infectés, généralement la salive, l'urine, le sang ou les sécrétions génitales. Le virus peut être transmis de la mère au fœtus à n'importe quel moment de la grossesse, mais il est le plus susceptible de causer de graves séquelles pour le fœtus lorsque la mère est infectée pour la première fois pendant le 1er trimestre de la grossesse. L’infection congénitale au CMV peut entraîner des séquelles telles que des troubles neurodéveloppementaux et cognitifs, la perte d'audition, les troubles de l’équilibre, la déficience visuelle qui sont présentes à la naissance ou qui se développeront au cours des 7 premières années de vie de l’enfant.

Citation
Il faut expliquer aux femmes enceintes que le virus s’attrape au contact d’un jeune enfant. En collectivité, les petits sont très souvent infectés par ce virus. Les personnes qui s'en occupent ont donc de grandes chances d’être en contact avec le CMV
Auteur
Dr Marianne Leruez-Ville, virologue et cheffe de Service de Bactériologie, virologie, parasitologie et hygiène à l’hôpital Necker-Enfants-Malades, AP-HP et spécialiste de cette infection.
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Les gestes barrières sont simples, font appel au bon sens mais sont indispensables :

  • Bien se laver les mains après chaque change de couches et chaque contact avec de la salive
  • Utiliser de l’eau et du savon ou une solution hydroalcoolique
  • Éviter tout contact avec les urines la salive et les larmes de l’enfant
  • Ne pas porter la tétine de l’enfant à la bouche
  • Ne pas porter la cuillère, la nourriture ou les jouets de l’enfant à la bouche
  • Ne pas l’embrasser sur la bouche
  • Le deuxième parent doit prendre les mêmes précautions, car le virus se transmet sexuellement et par la salive

Alors qu'un dépistage, accompagné de traitements adaptés, peut significativement réduire la transmission du virus à l'enfant et ses séquelles, le dépistage de l'infection congénitale au CMV n'est toujours pas recommandé de façon systématique en France.

Consulter notre dossier complet sur le CMV, ses risques et les moyens de prévention

La Fondation Pour l’Audition a créé un dossier thématique pour informer le grand public sur les conséquences d’une infection au CMV chez la mère, le fœtus et le nouveau-né, ainsi que son impact sur l’audition.

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