Votre collègue s’agite sur son clavier et vous avez du mal à le supporter ? Les bruits de mastications de vos proches vous agacent ? Face à certains sons, vous ressentez de la colère, de l’agacement ou vous cherchez à les éviter ? Et si vous souffriez de misophonie ?
La misophonie, qu’est-ce que c’est ?
La misophonie est comme un bouton d'alarme qui s'enclenche dans votre cerveau à l'écoute de certains sons. La misophonie est une aversion intense envers des sons ou bruits spécifiques. Contrairement à une simple gêne auditive, elle déclenche lors des expositions une réaction émotionnelle disproportionnée, allant de l'irritation à la colère, voire à la détresse.
Parmi les sons les plus souvent cités :
- Les bruits organiques (mastication, déglutition, reniflements...)
- Les bruits d'objets (les tapotements sur un clavier, les cliquetis d'un stylo, l'aspiration d'un liquide à la paille...)
Ces sons, anodins pour la plupart des gens, deviennent insupportables pour les personnes misophones, provoquant une réaction instantanée et incontrôlable.
"Généralement les personnes se plaignant de misophonie ne présentent pas de troubles auditifs, c’est d’ailleurs un symptôme qui débute souvent à l’adolescence sans cause ou désordre otologique identifiable. La misophonie semble plus fréquente en présence de comorbidités psychologiques (anxiété, dépression) ou de troubles du développement neuropsychologique. Mais les liens de causalité, probablement complexes, sont encore mal établis."
Dr Alain Londero, chirurgien ORL, Hôpital Lariboisière, AP-HP, Paris
Ce qui se passe dans le cerveau d'une personne misophone
La science commence à mieux comprendre les mécanismes de la misophonie. En 2017, des chercheurs britanniques ont montré que les sujets misophones présentent une hyperactivation du cortex insulaire antérieur, une région du cerveau impliquée dans l'attention et la gestion des émotions.
En d'autres termes, le cerveau des personnes misophones réagit de manière excessive à certains sons, comme s'il s'agissait d'une menace.
"Être importuné par un bruit est une expérience commune. Ce qui l’est moins c’est développer une intolérance majeure et invalidante comme c’est le cas dans la misophonie. Il est suspecté qu’une interaction fonctionnelle trop forte entre le système auditif et les structures cérébrales responsables des réponses émotionnelles soit présente. Il est cependant difficile d’affirmer que cette anomalie en est la cause ou bien simplement la conséquence des symptômes.
La misophonie peut être parfois associée à d’autres types de sensibilité au bruit comme l’hyperacousie (réaction physique douloureuse déclenché par un son) ou la phonophobie (peur et anxiété anticipatoire de s’exposer au bruit). Ces troubles relèvent cependant de mécanismes physiopathologiques différents."
Dr Alain Londero, chirurgien ORL, Hôpital Lariboisière, AP-HP, Paris
Comment savoir si vous êtes misophone ? Les signes.
Certains signes peuvent vous indiquer que vous pourriez être misophone :
- une réaction émotionnelle intense (colère, frustration, anxiété…) à certains sons
- le besoin de fuir ou de mettre fin au son qui provoque ces réactions
- l’incapacité à vous concentrer ou à vous détendre en présence de ces sons
- un sentiment de panique ou de détresse en entendant ces sons
- une forte envie de faire taire la personne qui produit le son qui vous dérange
"Le diagnostic de la misophonie est d’abord un diagnostic clinique d’interrogatoire : les patients expriment leur intolérance sévère à certains sons. Des questionnaires standardisés permettent cependant de mieux quantifier et évaluer le degré d’intolérance. Les chercheurs de l'IHU reConnect* ont également développé des tests psychoacoustiques simples permettant de diagnostiquer la misophonie et de la différencier des autres types de sensibilité au bruit."
La misophonie reste encore peu connue, ce qui rend difficile l’accès à des praticiens familiers avec ce symptôme. Pour poser leur diagnostic, ces professionnels s’appuient sur une échelle d’évaluation spécifique : l’Amsterdam Misophonia Scale. Il s’agit d’une adaptation du Y-BOCS (Yale-Brown Obsessive Compulsive Scale), une échelle initialement conçue pour évaluer les troubles obsessionnels compulsifs (TOC).
Les causes de la misophonie ne sont pas encore clairement établies, et plusieurs modèles théoriques sont actuellement explorés. Une susceptibilité génétique est envisagée, appuyée par la présence de cas familiaux décrits dans la littérature. Toutefois, des recherches supplémentaires sont nécessaires pour mieux comprendre l’origine de ce trouble.
La misophonie présente des caractéristiques similaires à d'autres pathologies auditives comme l'hyperacousie (perception des sons augmentée les rendant dérangeants, voire douloureux) ou la phonophobie. À la différence de cette dernière qui est une peur ou une angoisse excessive de certains sons, la misophonie est une aversion, c’est-à-dire une réponse émotionnelle négative à un stimulus sonore. Malgré des troubles similaires, la phonophobie et la misophonie ont des causes et des prises en charge différentes.
"Il peut survenir une aggravation progressive des symptômes probablement sous-tendue par des mécanismes cognitifs et comportementaux dits de renforcement. La crainte et l’évitement induits par l’intolérance majorent progressivement la sévérité des symptômes et le nombres de sons déclencheurs. Il s’agit d’une sorte d’apprentissage négatif qui s’auto-entretient."
Dr Alain Londero, chirurgien ORL, Hôpital Lariboisière, AP-HP, Paris
Comment traiter la misophonie ?
À ce jour, il n’existe pas encore de traitement médicamenteux spécifique pour la misophonie, mais plusieurs approches permettent d’atténuer ses effets.
Sous couvert d’un avis spécialisé, les médicaments peuvent aider à soulager la réaction anxieuse ou dépressive à la sévérité des symptômes.
Les approches psychothérapeutiques brèves de type thérapie cognitive et comportementale permettent de favoriser la restructuration cognitive (modification des schémas de pensée dysfonctionnels) en association à des techniques complémentaires (relaxation, hypnose, méditation en pleine conscience) visant à réduire et à mieux contrôler la réponse comportementale d’intolérance à la stimulation.
Comment mieux vivre avec la misophonie au quotidien ?
Il n’existe pas de solution miracle, mais certaines stratégies permettent de mieux gérer la misophonie :
Modifier son environnement sonore : écouter des bruits agréables (sons de la nature, bruits blancs..) peut aider à détourner l’attention des sons gênants.
Éviter l’isolement total : les spécialistes déconseillent le port permanent de bouchons d’oreilles, qui pourraient amplifier le problème.
Apprendre à gérer le stress : exercices de respirationrelaxation, méditation, … aident à mieux supporter les sons déclencheurs.
Communiquer avec son entourage : expliquer son trouble à ses proches et à son employeur peut éviter de nombreuses situations anxiogènes (qui peuvent s’accumuler au fil du temps…)
Comprendre les causes sous-jacentes de votre misophonie : explorer vos sentiments et vos réactions émotionnelles aux sons peut vous aider à mieux les appréhender pour mieux les maîtriser.
Chaque personne est différente et les solutions qui conviennent à une personne ne conviendront pas nécessairement à une autre.
Les recommandations du Dr Alain Londero
"Malgré une meilleure reconnaissance récente, le misophonie reste un symptôme déstabilisant qui peut désorienter tant le patient que l’entourage ou les médecins consultés.
Le premier et le plus important conseil est de réussir à exprimer l’intolérance et la souffrance induites. Ceci permet certainement de minimiser le risque d’isolement social contre lequel il convient de lutter car il est source d’une altération importante de la qualité de vie.
Le second conseil, tout aussi important, est de tenter de ne pas se disperser en multipliant les approches non coordonnées et non suivies. Ceci permet certainement d’optimiser l’efficacité des thérapeutiques."
Dr Alain Londero, chirurgien ORL, Hôpital Lariboisière, AP-HP, Paris
Quand faut-il consulter un spécialiste ? Vers qui s'orienter ?
Si la misophonie impacte votre quotidien et génère de l’anxiété, il est important d’en parler tôt à votre médecin traitant. Un ORL ou un psychologue/psychiatre spécialisé pourra vous orienter vers les meilleures solutions.
Même s'il n'existe pas de structure spécialisée dans la prise en charge de la misophonie, de nombreux spécialistes psychiatres tout comme certaines structures multidisciplinaires spécifiquement dédiées au troubles dysfonctionnels de l'audition (Association Francophones des Equipes Pluridisciplinaires en Acouphénologies : www.afrepa.org) sont à même de prendre en charge et guider les patients pour une optimisation du parcours de soin.
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