La capacité à décoder la structure rythmique de l’information auditive est importante pour le développement du langage, l’écoute de la musique et les interactions sociales.
Pour la première fois, une équipe d’Amiens, menée par le Pr Fabrice Wallois, en collaboration avec la Pre Laurel Trainor (Hamilton, Canada), montre chez des bébés prématurés que les circuits immatures de leur cerveau ont déjà la capacité de traiter l’information rythmique associée à des séquences auditives. Un résultat important, publié dans la revue scientifique internationale The Journal of Neuroscience, et qui pourrait contribuer à modifier la prise en charge sonore de ces bébés en couveuse.
La capacité à décoder la structure rythmique de l’information auditive est importante pour le développement du langage, l’écoute de la musique et les interactions sociales. En effet, cette aptitude permet au cerveau de faire des prédictions qui l’aident à appréhender l’environnement sonore ; par exemple la manière de comprendre la prosodie du langage (les modulations qui le nuancent), la manière de grouper les mots pour leur donner du sens. Le système auditif du fœtus est en place dès 25 semaines de gestation. Il l’immerge dans un monde sonore où les rythmes maternels sont omniprésents, en particulier celui du cœur ou de la respiration. Les sons extérieurs, eux, sont « filtrés » par les tissus maternels, mais leur rythme arrive quasiment intact au fœtus : bruits de pas, prosodie des paroles, musique, etc. Au cours du troisième trimestre de gestation, le cerveau du fœtus poursuit un développement rapide, d’abord sous l’influence de facteurs génétiques, puis, à partir de 27-28 semaines de gestation, s’ajoute l’influence des stimuli sensitifs qui lui parviennent. « C’est le moment où le cerveau du fœtus se connecte avec son environnement, commente le Pr Wallois. Le prématuré est privé de ces sons et on sait qu’il est à risque de développer des troubles du neurodéveloppement, en particulier dans les interactions sociales ou le langage. Nous avons donc voulu répondre à la question suivante : quelles sont, chez le fœtus, les capacités neuronales de décryptage du rythme, lequel constitue un des aspects fondamentaux de son monde auditif ? »
Une technique d’exploration de pointe
On sait que le fœtus et le nouveau-né prématuré répondent à différents stimuli auditifs et commencent à structurer leur environnement auditif. Jusqu’alors néanmoins, la capacité de traiter les rythmes n’avait pas été explorée chez les nouveau-nés prématurés. C’est l’objectif de l’étude menée par la Pre Sahar Moghimi, collaboratrice du Pr Wallois, qui en résume l’approche : « Dans la continuité des soins cliniques qui sont apportés aux nouveau-nés prématurés en couveuse dans l’unité néonatale de soins intensifs à l’hôpital d’Amiens, nous avons soumis 19 nouveau-nés d’âge gestationnel moyen de 32 semaines, une semaine après la naissance, à différentes séquences musicales aux rythmes différents. Nous avons analysé l’activité électrique de leur cerveau grâce à une électroencéphalographie de très haute définition. Cette technique, indolore, consiste à placer sur la tête du bébé un bonnet sur lequel sont fixées de très nombreuses électrodes qui mesurent en temps réel l’activité électrique du cerveau. »
Un cerveau aux capacités d’analyse déjà sophistiquées
Les résultats de cette étude montrent que le cerveau de ces nouveau-nés prématurés a déjà la capacité de traiter l’information rythmique, et qu’il le fait de manière similaire à ce qui se passe dans le cerveau adulte. « Nous avons découvert que ces nouveau-nés peuvent déjà décoder les différentes composantes du rythme, explique la Pre Moghimi : la pulsation et la hiérarchie rythmique, qui est la manière de grouper les pulsations (à deux temps, à trois temps, etc.). Ce second aspect est néanmoins immature, le cerveau est encore en plein développement en lien avec l’environnement. Cela signifie qu’il faut prêter attention au monde auditif de ces nouveau-nés prématurés en couveuse, car la privation des sons normalement perçus in utero en fin de grossesse pourrait affecter le développement normal des circuits cérébraux. » Maintenant que la capacité de codage du rythme par le nouveau-né prématuré est établie, les recherches se poursuivent actuellement afin de comprendre l’importance de la stimulation sonore rythmique pendant les dernières semaines de la grossesse. « À terme, nous souhaiterions déterminer si des interventions musicales sont susceptibles d’améliorer le décryptage du rythme chez ces prématurés. En espérant que cela participe à un meilleur neurodéveloppement initial de ces enfants. »
Pr Fabrice Wallois
Directeur du Groupe de recherches sur l'analyse multimodale de la fonction cérébrale (Inserm UMR-S 1105) au Centre Universitaire de Recherche en Santé, à Amiens
Chef du service Explorations fonctionnelles du système nerveux de l’enfant au CHU d’Amiens